Les contes dévoyés : l'exemple Disney

 

 1. Édulcoration des contenus

Les contes traditionnels sont souvent sombres, violents, ambigus, car ils reflètent les réalités de la vie (mort, abandon, inceste, pauvreté, peur de l’autre, transgression...).
cf La peur dans les contes ou la transmission orale pour adultes 

→ Disney supprime ou adoucit ces éléments pour les rendre acceptables, entendables par un public familial :

  • Dans Cendrillon, les demi-sœurs ne se mutilent plus les pieds (comme chez les frères Grimm).
  • Dans La Petite Sirène, l’héroïne ne meurt pas de chagrin : elle épouse le prince au lieu de se dissoudre dans l’écume.

 Conséquence : le conte ne prépare plus à affronter les épreuves, il fait rêver à une vie idéalisée, sans réel danger.

 

2. Mise en avant de l’amour romantique

Alors que les contes d’origine parlent souvent de stratégie, de survie, de transmission générationnelle, Disney les transforme en histoires d’amour hétérosexuel idéalisé :

  • Le but de l’héroïne devient : être belle, douce, obéissante… pour être aimée et épouser un prince.

 Ce modèle renforce les stéréotypes de genre :

  • La femme attend, l’homme sauve.
  • La beauté est récompensée, l’intelligence ou l’audace souvent punies.

 3. Uniformisation culturelle et esthétique

Les versions Disney imposent une iconographie dominante (robes, châteaux, princesses blanches aux cheveux longs) au détriment de la richesse des traditions orales du monde entier :

  • L'univers est toujours féérique, propre, pastel, coupé de la terre, du réel et du mystère.
  • Les contes du monde sont standardisés selon une grille occidentale, souvent dépolitisés et désexualisés.

4. Commercialisation massive

Le conte devient un produit de consommation, associé à une gamme de jouets, de costumes, de parcs d’attraction.
→ Ce système entretient une vision de l’histoire comme marchandise, divertissement et nostalgie, et non comme outil de pensée critique ou de résistance.

 5. Mais des réappropriations critiques existent !

Heureusement, depuis les années 1990-2000, de nombreux artistes, auteurs, pédagogues et conteurs détournent ou réinterprètent les contes classiques pour :

  • Réintroduire le doute, la nuance, le symbolique.
  • Dénoncer les stéréotypes de genre ou les inégalités.
  • Retrouver la puissance subversive, féministe ou politique des récits originels.

Exemples :

  • Contes à l’envers (Pef),
  • Il était une fois une vieille femme très méchante (François David),
  • Princesses oubliées ou inconnues (Philippe Lechermeier),
  • Les contes racontés par les conteurs contemporains dans des festivals adultes.

 

1. Les Types de Contes

 

Type de conteCaractéristiques principalesExemples
Conte merveilleux Monde féerique, magie, objets et créatures fantastiques La Belle et la Bête, Le Chat botté
Conte étiologique Explique l’origine d’un phénomène naturel ou d’une tradition Pourquoi la mer est salée ?, contes africains
Conte de randonnée Rythmé par des accumulations et répétitions, souvent avec une structure circulaire Roule galette, La Moufle
Conte facétieux Humoristique, moqueur, fondé sur des malentendus ou des ruses Le cochon futé, Nasreddine Hodja
Conte de sagesse Contient une leçon morale ou spirituelle, souvent issu de traditions orientales ou philosophiques Contes zen, Paraboles soufies
Conte cruel Mène le héros à des situations extrêmes, souvent effrayantes ou violentes Barbe Bleue, Le Petit Chaperon rouge (version Grimm)
Conte philosophique Soulève des questions existentielles ou politiques ; souvent plus destiné aux adolescents ou adultes Le Petit Prince (Saint-Exupéry), Candide (Voltaire)
Conte d’horreur Vise à faire peur, introduit des éléments macabres, surnaturels, ou angoissants Contes d’Edgar Allan Poe, La Vache Amoureuse (Tournier)
Conte parodique Détourne les codes traditionnels du conte pour les critiquer ou en rire

Les Contes à l’envers (P. Dumas), Shrek (W. Steig), Zette et Zotte à l'usine (Elsa Valentin), la Grosse grève (Philippe Jabert)

Conte religieux Transmet un message ou une foi religieuse, souvent sous forme de parabole Contes bibliques, Légendes des saints
Conte anthromorphique Les animaux ou les objets sont anthropomorphisés, souvent porteurs d'une morale Le Corbeau et le Renard, contes africains et asiatiques
Conte initiatique Le héros grandit à travers une série d’épreuves ou de découvertes (courage, peur à dépasser...) Le Roi des Aulnes (Goethe), La Quête d’Isabelle
Conte de fées contemporain Réécrit les contes classiques dans un cadre moderne ou réaliste La princesse qui n’aimait pas les princes (Alice Brière-Haquet), Barbe Belle et autres contes pour toutes et tous (Hélène Combis)

 

2. Le classement des contes 

 

1. Qu'est-ce que le classement ATU ?

Il s'agit d'une classification internationale des contes populaires, créée pour organiser les milliers de récits traditionnels du monde entier selon leurs structures narratives et leurs motifs.

  •  Utilisé en ethnologie, en folklore, en littérature comparée.
  •  Classe les contes par types et sous-types, avec un code numérique.
  •  Nommé d’après ses créateurs :
    • Antti Aarne (Finlande, 1910)
    • Stith Thompson (USA, révision en 1928 et 1961)
    • Hans-Jörg Uther (Allemagne, révision en 2004 → version actuelle : ATU)

 

2. Comment fonctionne la classification ?

Le type de conte est déterminé en fonction de son schéma narratif central, c’est-à-dire la structure de l’histoire, les fonctions du héros, les épreuves et les motifs (objets, actions, personnages-types).

  • Les contes d'animaux. Animaux sauvages et domestiques : 100-149. ...
  • Les contes « ordinaires » Contes merveilleux : 300-749. ...
  • Les contes facétieux : 1200-1999. ...
  • Les contes à formules : 2000-2399.
  • Contes non classés ou inclassables : 2400.

Chaque type est identifié par un numéro ATU et un titre-type (basé sur le résumé de l’histoire archétypale).

 

> Exemples de types ATU célèbres :

N° ATUTitre-typeExemple célèbre
ATU 333 Le Petit Chaperon rouge Little Red Riding Hood
ATU 310 La Belle au bois dormant Sleeping Beauty
ATU 425 La Quête de l’époux(e) disparu(e) Cupidon et Psyché, Peau d’Âne
ATU 510A Cendrillon Cinderella
ATU 709 Blanche-Neige Snow White
ATU 327A L’ogre qui mange les enfants Le Petit Poucet, Hansel et Gretel
ATU 300 Le tueur de dragon Saint Georges, Siegfried
ATU 650 Le fils reconnaissant qui sauve son père Thèmes bibliques ou contes slaves

 

En savoir plus 

 

 

 

Les contes traditionnels regorgent de peurs symboliques destinées à alerter, prévenir, éduquer ou exorciser des angoisses profondes — en particulier chez les enfants. Ces peurs sont souvent déguisées sous forme de métaphores puissantes, animales ou surnaturelles.

 

En voici les grandes familles :

1. La peur de la dévoration

Exemples : Le Petit Chaperon Rouge, Hansel et Gretel

  • Signification : Crainte archaïque d’être avalé ou absorbé, qui symbolise :
    • l’angoisse de séparation d’avec les parents,
    • la peur d’être englouti par un monde trop vaste ou trop adulte,
    • les dangers des étrangers (le loup, la sorcière).
  • Conseil transmis : « Ne t’éloigne pas du chemin », « Ne fais pas confiance aux inconnus ».

2. La peur de l’abandon ou de l’orphelinat

Exemples : Hansel et Gretel, Peau d’Âne, Blanche-Neige

  • Signification : Crainte de perdre ses repères affectifs et familiaux.
  • Symbolique : Perte de la sécurité, entrée dans le monde sans protection.
  • Fonction : Préparer les enfants à l'autonomie, à la séparation, au deuil.

3. La peur de transgresser / de la curiosité punie

Exemples : La Barbe Bleue, Pandore (mythe), La Belle et la Bête

  • Signification : Apprentissage des limites (morales, sociales, sexuelles).
  • Punition symbolique : Curiosité = danger = sanction.
  • Double enjeu : À la fois prévenir, mais aussi légitimer le désir de savoir.

4. La peur du noir, du silence, de l’inconnu

Exemples : Contes où l’enfant est seul dans la forêt, les caves interdites

  • Signification : L’obscurité est souvent un lieu de transformation ou d’épreuve.
  • Utilité narrative : Transition vers l’âge adulte, passage obligé pour grandir.

5. La peur du double / de l’altérité

Exemples : La Reine de Blanche-Neige, les sœurs jalouses, les métamorphoses

  • Signification : Peur de ce que l’on pourrait devenir (mauvais reflet), ou de ceux qui nous ressemblent trop.
  • Symbolique : Construction de l’identité, lutte contre ses pulsions.

6. La peur des figures d’autorité abusives

Exemples : Reines cruelles, rois incestueux, pères violents

  • Signification : Dénonciation déguisée de maltraitances réelles (souvent intrafamiliales).
  • Rôle protecteur du conte : Dire l’indicible, en parler à travers la métaphore.

7. La peur du corps / de la sexualité

Exemples : Le loup qui veut "manger" le Petit Chaperon, Peau d’Âne

  • Sous-texte : Désir, pulsions, puberté, inceste.
  • Forme de censure ou d’alerte : Souvent transmise de manière symbolique (robe couleur de lune, interdits, transformation animale).

 

 Pourquoi ces peurs dans les contes ?

  •  Pour apprivoiser l’inconnu,
  • Pour dire ce qu’on ne peut pas dire autrement,
  •  Pour prévenir des dangers réels (abus, manipulation, exclusion),
  •  Et surtout : pour permettre à l’enfant de grandir en se construisant un imaginaire sécurisant.

 

1. Un patrimoine ancestral de transmission

Avant l’invention de l’imprimerie et la scolarisation de masse, les récits oraux étaient la principale forme d’éducation collective.

Les contes, légendes, proverbes et récits initiatiques permettaient aux adultes de transmettre :

  • Des règles de vie (hospitalité, fidélité, prudence),
  • Des codes de survie (éviter les chemins isolés, reconnaître les prédateurs sociaux),
  • Des valeurs communautaires (honneur, solidarité, tabous à respecter),
  • Et surtout, de prévenir des dangers :
    • de la nature (forêt, mer, animaux),
    • de la société (abus de pouvoir, mariages forcés, violence conjugale),
    • de soi-même (désirs incontrôlés, orgueil, transgression des interdits).

 

2. Des récits parfois très sombres

Contrairement aux contes pour enfants édulcorés, les versions destinées aux adultes sont souvent crues, violentes, ambivalentes, car elles servent à dire ce qui ne peut pas se dire directement.

Exemples :

  • Les contes d’ogres, de loups et de viols sont parfois des allégories du danger masculin pour les jeunes filles.
  • Les pactes avec le diable ou les créatures surnaturelles alertent sur la tentation, la cupidité, l’orgueil.
  • Les récits de vengeance ou de rédemption sont des outils de justice symbolique dans des sociétés sans tribunal accessible.

 

3. Oralité et communauté

Le conte oral pour adulte n'est jamais anodin : il est dit au bon moment, au bon endroit, à la bonne personne. Il fait partie d’un pacte social :

  • Il rassemble (au coin du feu, dans les veillées),
  • Il répare (par l’humour ou la catharsis),
  • Il met en garde sans accuser (par l’exemple symbolique).

 

4. Exemples de récits d’alerte

  • Barbe Bleue : la curiosité féminine punie ? Ou une mise en garde contre les violences conjugales cachées ?
  • La Femme squelette (conte inuit) : une métaphore du couple et de la peur de l’intimité.
  • Le Joueur de flûte de Hamelin : le prix de l’ingratitude collective, ou une critique politique ?
  • Les contes de la mort (Bretagne, Afrique, Haïti...) : pour apprivoiser l’idée de la finitude, et transmettre des rituels funéraires.

 

5. Aujourd’hui : un outil de prévention moderne

Dans les médiathèques, festivals ou prisons, le conte oral pour adultes revient en force :

  • Pour parler de dépendances, de violences, de migration, de solitude.
  • Par des conteurs contemporains comme Muriel Bloch, Catherine Zarcate, Abbi Patrix, Hassane Kouyaté, qui recréent un espace d’écoute collective et de parole taboue.
  • Des initiatives associant conte et éducation populaire sont menées, par exemple, pour lutter contre les stéréotypes de genre ou les discriminations.

 

6. Le travail des Frères Grimm

 Le travail des frères Grimm, Jacob (1785–1863) et Wilhelm (1786–1859), occupe une place essentielle dans l’histoire du conte populaire. Souvent perçus comme de simples collecteurs d’histoires pour enfants, ils sont en réalité les fondateurs d’un projet scientifique, culturel et linguistique majeur, avec des conséquences durables sur la littérature de jeunesse… mais aussi sur la vision du monde.

 

 1. Qui étaient les frères Grimm ?

  • Originaires d’Allemagne, linguistes, juristes et philologues.
  • Passionnés par les traditions orales, ils s’inscrivent dans le mouvement romantique allemand qui cherche à préserver l’âme du peuple (« Volksgeist ») à travers ses récits.
  • Leur but premier n’est ni moral, ni éducatif, mais scientifique et identitaire : sauvegarder la mémoire populaire germanique.

 

2. Le recueil Contes de l’enfance et du foyer (1812–1815)

  • Premier titre : Kinder- und Hausmärchen (litt. « Contes d’enfants et du foyer ») — pas nécessairement pour les enfants !
  • Il s’agit de transcriptions, souvent retravaillées, de récits oraux transmis par des paysans, nourrices, domestiques, femmes de la bourgeoisie.
  • Les contes les plus célèbres :
    • Blanche-Neige
    • Hansel et Gretel
    • Le Petit Chaperon rouge
    • Cendrillon
    • Raiponce
    • Le Roi grenouille
    • La Belle au bois dormant

 

 3. Un travail d’adaptation, pas de simple collecte

  • Les Grimm ont réécrit et normalisé les récits : ajout de formules d’ouverture (« Il était une fois »), d’éléments chrétiens (Dieu, la prière), suppression de certaines violences sexuelles.
  • Le style évolue au fil des éditions : les premières versions sont plus crues, brutes, tandis que les suivantes s’adoucissent pour s’adresser davantage aux enfants.
  • Cependant, la violence reste très présente : mutilations, cannibalisme, meurtres, punitions sanglantes…

 Exemple :
Dans Cendrillon, chez les Grimm, les sœurs se coupent des morceaux de pied pour entrer dans la chaussure, et les colombes crèvent leurs yeux pour les punir de leur cruauté.

 

 4. Une tension entre tradition et moralisation

  • Les Grimm ne sont pas moralistes à l’origine, mais leur travail est récupéré à des fins éducatives dans l’Allemagne du XIXe siècle, puis dans toute l’Europe.
  • On les accuse parfois d’avoir essentialisé les rôles féminins : mères absentes, marâtres cruelles, filles passives récompensées.
  • Pourtant, leurs contes comportent aussi des figures féminines rusées, courageuses, ambivalentes.

 

 5. Un impact mondial et durable

  • Les contes des Grimm ont été traduits dans plus de 160 langues.
  • Ils ont inspiré Disney, les manuels scolaires, les albums jeunesse, les psychanalystes (notamment Bruno Bettelheim), et la recherche folklorique.
  • Aujourd’hui, ils sont régulièrement revisités et détournés pour lutter contre les stéréotypes ou réintroduire leur puissance symbolique originelle.

 

 Voir aussi : les contes dévoyés 

 

À télécharger :

pdfComparatif des versions de contes : Grimm / Perrault / Disney

 

 

© Archives départementales de la Lozère 96 Fi 459 / Carte postale N/B 9x14 cm